[ARCHIVE] Mémoires d’un moustachu

     [Article paru à l’origine sur le blog Rowing Stories, le 03 juin 2015]

Le monde de l’aviron français ne le connaît quasiment pas. Et pourtant ses mots sont à chaque fois attendus à l’heure des compétitions internationales. Le plus souvent signés par la simple mention « M.V. ».

Marc Ventouillac est grand reporter au journal L’Equipe. Depuis 25 ans, il suit l’aviron et relate les exploits des rameurs tricolores dans ses articles. Il vient de publier un livre, Les grandes heures de l’aviron français, qui retrace l’histoire de la discipline, des premiers championnats d’Europe courus sur le lac Orta (Italie) en 1893, aux derniers championnats du monde à Amsterdam (Pays-Bas) l’été dernier. Mais plutôt que de parler du livre, parlons plutôt de son auteur !

« Je n’y connais rien à l’aviron, alors je risque d’écrire des boulettes »

D’abord spécialiste de l’athlétisme pour L’Equipe, Marc Ventouillac se voit demander en 1990 de couvrir trois sports supplémentaires. Son choix se porte sur la lutte, le triathlon et l’aviron. Cette dernière lui est totalement inconnue à l’époque.

Il se rend à sa première compétition à Cazaubon, à l’occasion des tests nationaux. Bénédicte Luzuy-Dorfman, vient de remporter l’épreuve du skiff. Elle lui raconte comment elle a découvert l’aviron, grâce à Anne Marden. L’américaine, après sa médaille aux Jeux Olympique de Los Angeles en 1984, était venue étudier dans une prestigieuse école de commerce en région parisienne. En parallèle, elle continuait de s’entraîner, suivie par Jean-Pierre Leroux, les Jeux de Séoul en ligne de mire. Anne était fille au pair chez les parents de Bénédicte… A ce moment là le journaliste s’est dit : « si tous les rameurs ont de si belles histoires à raconter, je vais me régaler ! ».

La même année, Marc Ventouillac renonce à deux meetings internationaux d’athlétisme en Amérique pour se rendre aux régates internationales de Vichy. Ses collègues le prennent pour un fou. Mais lui veut prendre ses marques dans ce sport qui lui est encore méconnu. Michel Andrieux, pour sa deuxième sélection en équipe de France était présent. Il se souvient d’un homme à la moustache, arriver dans la travée et l’aborder : « Je n’y connais rien à l’aviron, alors je risque d’écrire des boulettes ». Ce moustachu, c’est Marc. Il est rapidement accepté par les athlètes. Andrieux explique que Ventouillac ne cherche jamais à les faire culpabiliser quand la performance n’est pas au rendez-vous, qu’il préfère chercher la petite bête sur le fonctionnement, plutôt que sur les personnes. « On l’apprécie car c’est un journaliste humain » conclue-t-il.

A l’automne 1990, le reporter accompagne l’équipe de France en Tasmanie, pour suivre ses premiers championnats du monde. En plus de la dimension sportive, il se remémore surtout la dimension humaine du séjour. L’ambiance en compagnie des rameurs. L’hébergement au Cradle Mountain Lodge, au bout d’une route bordée d’arbres calcinés. Un décor de fin du monde. Les tête-à-tête avec des wallabies et des opossums. Les habitants aux allures de Crocodile Dundee. Cette année là, le clan français rentre avec deux médailles d’argent en quatre sans barreur poids léger et quatre de couple poids léger masculins. Mais il gagne aussi un journaliste, fervent passionné de la discipline.

« Les cons ils ont gagné ! »

Quand on lui demande quels sont ses plus beaux souvenirs liés à l’aviron, Marc Ventouillac a du mal à choisir. « Je me suis toujours régalé sur une compétition d’aviron » dit-il. Mais deux événements sortent tout de même du lot.

1993. Championnats du monde à Roudnice, République Tchèque.
Après une période de disette, l’équipe de France renoue avec les podiums. Et de la plus belle manière, avec trois titres mondiaux décrochés en moins de deux heures. Magique. « On se tombait dans les bras. Tout le monde était ému à la tente France » se rappelle Ventouillac. Pendant qu’il interview les champions tricolores, les rameurs des autres nations viennent même les féliciter.

Mais l’expérience qui l’a le plus marqué, reste sans nul doute le titre olympique de Jean-Christophe Rolland et Michel Andrieux, à Sydney, dix ans après leur rencontre. « On ne s’y attendait pas tellement » raconte Marc. Les Australiens James Tomkins et Matthew Long étaient les favoris de leur catégorie. En plus de courir à la maison, ils s’étaient imposés quelques semaines auparavant à la coupe du monde de Lucerne, pour leur première sortie ensemble. Cela n’inquiète pas Jean-Christophe Rolland. Au début des Jeux, le rameur explique à Marc que lors de la première course d’une paire, il se passe quelquefois des choses, on ne sait pas trop comment. Puis arrive le jour de la finale…

La course la plus dingue à laquelle il ait assisté. Il se souvient avoir lâché au milieu de la tribune de presse : « Les cons ils ont gagné ! », bondissant sur place. La paire « Rollandrieux » vient de s’imposer, après un sprint final extraordinaire de 700 mètres. Cette course reste encore aujourd’hui une référence à travers le monde.

Pile ou face

Dans les coulisses d’un championnat international d’aviron, la salle de presse. L’ambiance y est peu ou prou la même que pour les autres sports. On retrouve souvent les mêmes têtes d’un événement à l’autre. On se salue poliment autour d’un café ou d’une viennoiserie. Le plus souvent les représentants de chaque nation restent entre eux, tel un fan club qui défend son équipe. A tel point qu’il était un moment question de créer le Cercle français des journalistes amateurs d’aviron. Le plan, initié par Paul Miquel et soutenu par Marc Ventouillac, n’a pour l’instant pas vu le jour. Les deux journalistes avaient même imaginé un logo, qui aurait pu ressembler à un blason, où se croiseraient une pelle et un stylo. « Pourquoi pas le relancer ? » projette Marc. Aujourd’hui l’aviron a pris de l’ampleur médiatique en France, « on n’a jamais été aussi nombreux » continue-t-il sur sa lancée. Affaire à suivre !

Toujours avec son comparse Paul Miquel, il se remémore une anecdote, aux abords de la Tamise, en 2006. Ce jour là, le Français Bastien Ripoll participe à la fameuse Boat Race, sous les couleurs d’Oxford. Les deux reporters veulent être au plus près de l’action. Mais qu’une seule place est disponible dans le bateau suiveur. Pour trancher, Paul et Marc décident de jouer à pile ou face, et prennent Bastien pour témoin. Victoire pour la moustache. Ventouillac est aux premières loges lorsque les Dark Blues l’emportent, le rameur français en chef de nage.

Comme écrit plus haut, les journalistes français à suivre l’aviron sont peut-être plus nombreux qu’auparavant. Il n’empêche que la discipline ne suscite l’intérêt que tous les quatre ans, à l’heure des Jeux Olympiques. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le phénomène selon Marc. Notamment parce que les Bleus sont souvent placés, mais encore rarement gagnants, faute de réellement professionnaliser ce sport en France pense-t-il. Les rameurs doivent jongler entre leurs entraînements biquotidiens et leurs études ou leur métier. Ainsi tiraillés, ils ne peuvent être à 200%, comme dans les plus grandes nations de l’aviron. Celles où le métier de ces sportifs, c’est justement d’être rameur, ou qui réunissent leur équipe au sein d’un unique centre de performance.

Mais pour le journaliste, la raison majeure de ce manque de visibilité dans les médias relève de la complexité elle même de l’aviron. Ce sport est spectaculaire, car il se pratique dans des lieux hors du commun. Mais il est avant tout compliqué à expliquer au grand public, tant par son vocabulaire très spécifique, que ses multiples catégories. A ce titre, l’aviron est l’épreuve qui récompense le plus d’athlètes lors des Jeux, avec 144 médailles distribuées à Londres, dans 14 catégories différentes. Difficile de traiter du sujet, à une audience non initiée. Pour relever ce défi, on peut compter sur des journalistes passionnés comme Marc Ventouillac, qui transmettent exploits et belles histoires des rameurs.

La question de la fin

R.S. Pour quel athlète seriez-vous prêt à raser votre célèbre moustache ?

M.V. Si Emmanuel Bunoz remporte l’or olympique, à la barre du huit tricolore l’an prochain. Pour fêter son come-back, 24 ans après sa finale du deux barré aux Jeux Olympique de Barcelone. Le rendez-vous est pris à Rio !

Using Format